« Les victimes de la charia veulent parler sans ĂȘtre taxĂ©es dâ''islamophobie'' »
L'humoriste, chroniqueuse et militante Sophia Aram revient sur le combat des femmes iraniennes, et de toutes les femmes victimes de la charia, pour faire entendre leur voix en Occident. Ici, la critique du voile comme instrument patriarcal de domination et rouage fondamental des théocraties est assimilée⊠à de l'islamophobie. Une honte, dans cette partie du monde qui se revendique « libre ».
Un an aprĂšs la mort de Mahsa Jina Amini et le mouvement de protestation qui a suivi son assassinat par la police des mĆurs de TĂ©hĂ©ran pour une mĂšche de cheveux dĂ©passant de son voile, il est temps dâinterroger la tension qui traverse les milieux « progressistes » occidentaux dĂšs quâil sâagit de combattre lâapartheid de genre qui frappe les femmes vivant sous le rĂ©gime de la charia.
Une rĂ©alitĂ© sur laquelle je me suis cognĂ©e le 16 janvier 2022 lorsque jâai reçu un message de lâactiviste Masih Alinejad me remerciant pour lâaide que jâavais apportĂ© Ă sa campagne « Let us talk ». Sans forcer le trait de mon insignifiance, ni celui de lâimportance dâAlinejad, son message Ă©tait aussi probable quâun coup de tĂ©lĂ©phone de Nelson Mandela Ă SmaĂŻn le remerciant dâavoir portĂ© un badge « Free Mandela ». Dâautant que mon « aide » se rĂ©sumait au retweet dâun article dâInna Shevchenko dans Charlie Hebdo sur lâabsence de soutien des fĂ©ministes occidentales au combat des Iraniennes contre lâobligation de porter le voile. DâoĂč ma question : Comment Masih pouvait-elle manquer Ă ce point de relais en Occident, comment pouvait-elle ĂȘtre aussi dĂ©sespĂ©rĂ©ment seuleâŻ?
Masih, Vida, et toutes les autres
Ma conviction est que la solitude de toutes celles qui ne nous demandaient rien dâautre que de les Ă©couter est liĂ©e Ă la maniĂšre dont lâislam politique et le misĂ©rabilisme â principalement de gauche â ont Ă©touffĂ© toute forme de solidaritĂ© envers les victimes de la charia. Et pour le mesurer, il suffit de rappeler le parcours de Masih Alinejad et des appels Ă lâaide qui ont prĂ©cĂ©dĂ© « Femme, vie, libertĂ© » et que nous avons sciemment ignorĂ©s.
En 2014, depuis son exil londonien, Masih Alinejad appelle les femmes Iraniennes Ă sortir dans la rue sans voile sous le slogan « My Stealthy Freedom » (Ma LibertĂ© furtive). Puis en 2017, toujours contre lâobligation de porter le voile, elle lance le hashtag #WhiteWednesdays. En dĂ©cembre de la mĂȘme annĂ©e, elle lance une campagne sur Instagram pour demander qui est la jeune femme debout sur un transformateur Ă©lectrique agitant son hijab au bout dâun bĂąton. Ă lâĂ©poque le nom de Vida Movahed nâĂ©tait pas encore connu. Ă sa grande surprise, de nombreuses Iraniennes et Iraniens lui rĂ©pondent en postant une photo dâeux portant un hijab au bout dâun bĂąton, accompagnĂ©s de cette rĂ©ponse : « Cette jeune fille, câest moi ».
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En 2018, dĂ©tournant une invitation au Parlement europĂ©en pour venir dĂ©fendre « la libertĂ© de porter le voile », Masih sâen prend vivement aux femmes politiques europĂ©ennes qui, comme SĂ©golĂšne Royal, contribuent Ă lĂ©gitimer le voile obligatoire en le portant lors de visites en Iran quand dâautres, comme Angela Merkel, Michelle Obama, et Hillary Clinton avaient refusĂ© de se soumettre par simple libertĂ© ou en solidaritĂ© avec toutes celles qui en Iran ou ailleurs meurent pour refuser de le porter. Toutes ces actions ont eu un Ă©cho trĂšs important en Iran et les messages de ces rĂ©sistants Ă©taient visibles sur tous les rĂ©seaux sociaux et continuent de lâĂȘtre.
Ăcouter les victimes de la charia
Mais curieusement, ces mouvements nâont trouvĂ© aucun relais en occident, ni mĂ©diatiques, ni politiques. On peine encore Ă trouver des articles faisant Ă©tat de toutes ces actions y compris de la part de journalistes ayant couvert lâIran tout au long de ces annĂ©es et dont on peut se demander sâils ne les considĂ©raient pas comme Ă©tant suffisamment importante pour prendre le risque dâĂȘtre interdit de territoire en en parlant.
En dĂ©cembre 2021, le pĂ©diatre Sherif Emil Ă©crit dans le courrier des lecteurs du Journal des MĂ©decins Canadiens que le respect du choix des femmes Ă porter le hijab « ne doit pas altĂ©rer le fait que le hijab, le niqab et la burka sont aussi des instruments dâoppression pour des millions de filles et de femmes dans le monde qui nâont pas la possibilitĂ© de faire un choix ». Ce message dĂ©clencha mĂ©caniquement les foudres des communautaristes le qualifiant dâ« islamophobe ». Un dĂ©ferlement communautariste qui a aussi conduit Ă ce que Masih Alinejad adresse au pĂ©diatre une lettre de soutien, qui a Ă©tĂ© trĂšs largement reprise par de nombreuses femmes issues de pays musulmans et vivant en Occident sous le hashtag #LetUsTalk / LaissezNousParler.
Que sâĂ©tait-il donc passĂ© pour que des femmes, victimes de la charia sâadressent Ă lâOccident sous le slogan « Laissez-nous parler »âŻ? Je crains quâen dehors de quelques rares individus, on puisse ranger lâabsence de soutien des progressistes occidentaux en deux catĂ©gories. Celle qui participe Ă dĂ©signer ces actions comme « islamophobes » et celle qui prĂ©fĂšre ignorer ce « bruit de fond » un peu gĂȘnant de peur dâĂȘtre soi-mĂȘme taxĂ© « dâislamophobe ».
Un terrible silence gĂȘnĂ©
Sous le #LetUsTalk, ces femmes ont racontĂ© la charia, lâobligation de porter le voile, lâinterdiction de conduire, de sortir sans un pĂšre, un mari ou un frĂšre. Elles nous disaient quâaprĂšs avoir Ă©tĂ© rĂ©duites au silence dans leurs pays dâorigines, elles refusaient dâĂȘtre Ă nouveau rĂ©duites au silence dans un monde libre. Elles voulaient simplement nous raconter leur histoire et leur combat sans ĂȘtre accusĂ©es « dâislamophobie ». Elles voulaient nous dire que le hijab nâest pas quâun bout de tissu et quâil est un instrument dâoppression pour des millions de filles et de femmes nâayant pas dâautre choix que de le porter. Pour lâanecdote, une partie des messages visait aussi la rĂ©ponse de Kirsten Patrick, Ă©ditrice en chef du Journal des MĂ©decins Canadien Ă la lettre Sherif Emil, qui avait Ă©crit : « Je mâexcuse sincĂšrement pour le mal considĂ©rable que tant de gens, incluant des collĂšgues du milieu mĂ©dical et des Ă©tudiants, ont subi en lisant cette lettre. »
Force est de reconnaĂźtre que nous avons ratĂ© ces occasions de mesurer ce que ressent une femme accusĂ©e dâislamophobie en Occident pour avoir osĂ© nous raconter ce quâelle a vĂ©cu sous le rĂ©gime des mollahs. Un peu comme ce jour oĂč Alexandria Ocasio-Cortez et Ilhan Omar ont rĂ©pondu Ă lâappel Ă solidaritĂ© de Masih Alinejad en lui reprochant dâĂȘtre Ă la solde de lâĂtat amĂ©ricainâŻ!
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AprĂšs un an de combat et de rĂ©pression subie par les Iraniens et les Iraniennes face Ă lâobscurantisme religieux, il est peut-ĂȘtre temps de prendre la mesure du silence gĂȘnĂ© dâune part importante des journalistes, intellectuels, politiques et bien sĂ»r « fĂ©ministes » face Ă la souffrance des femmes vivant sous le rĂ©gime de la charia. De toutes ces femmes qui ont refusĂ© dâĂȘtre rĂ©duites au silence par celles qui, comme moi, nâauront jamais Ă subir lâobscurantisme religieux.
De janvier Ă septembre 2022, câest lĂ ma seule fiertĂ©, jâai tentĂ© en vain dâalerter les journalistes et les politiques que je croisais au sujet de ces femmes qui, de plus en plus nombreuses, bravaient en Iran lâinterdiction de porter le hijab au risque de leur vie. La premiĂšre rĂ©volution fĂ©ministe de lâhistoire a germĂ© Ă voix haute sur les rĂ©seaux sociaux dans notre plus profond dĂ©sintĂ©rĂȘt. Ă la rentrĂ©e de septembre, il aura fallu mesurer lâincroyable soulĂšvement provoquĂ© par la mort de Mahsa Jina Amini pour quâenfin, on daigne en parler. Pour que Masih Alinejad soit invitĂ©e Ă lâĂlysĂ©e et sur la matinale de France Inter.
Le misérabilisme de la gauche
Et lorsque ces premiĂšres voix se sont Ă©levĂ©es en France pour traiter le sujet, il aura encore fallu se fader lâindĂ©cence de ceux qui se sont empressĂ©s de rĂ©duire ces combats contre la dictature islamique Ă un « combat universel pour le droit des femmes Ă sâhabiller comme elles veulent ». Comme si le combat des Iraniennes contre lâapartheid que leur imposent les mollahs depuis 40 ans avait quelque chose de comparable avec celui de quelques gourdes ayant librement choisi de militer pour que des adolescentes puissent exhiber leur « pudeur » et leurs signes religieux Ă lâĂ©cole ou leurs burkinis Ă la piscine municipale.
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Ă lâheure ou Rokhaya Diallo diffusait sur France TĂ©lĂ©vision le narratif de la « modest fashion » et de ces filles en hijab qui « refusent lâhypersexualisation des femmes en Occident tout en portant le voile de maniĂšre hyper fashion », nous refusions dâentendre Masih Alinejad et Golshifteh Farahani nous expliquer que le hijab nâa rien dâun accessoire de mode et tout du « mur de Berlin derriĂšre lequel sâabrite le pouvoir des religieux » ou « du pilier central qui tient le chapiteau de la thĂ©ocratie ».
VoilĂ , prĂ©cisĂ©ment, ce que ces femmes avaient Ă nous dire depuis des annĂ©es et voilĂ prĂ©cisĂ©ment ce que nous nâavons pas voulu entendre. La solitude de ces rĂ©sistantes est due au misĂ©rabilisme de gauche Ă lâĂ©gard de lâislam en gĂ©nĂ©ral et la peur des autres dâĂȘtre accusĂ© dâislamophobie. Et entendons-nous bien, le problĂšme, ce nâest pas que quelques pĂ©tasses en leggins cĂ©lĂšbrent le Hijabday dans les couloirs de Sciences Po Paris. Non, le problĂšme, comme le disait Charb, câest « le silence des laĂŻcs qui se taisent ».
Tue 26 Sep 2023 07:30:15 AM CEST - permalink -
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